La mondialisation des normes européennes

On 14 août 2008, Posted by , In Analyse internationale,

Ce blogue traite d’un phénomène méconnu des entreprises. Les normes adoptées par l’Union européenne ont vocation à être reprises par les pays tiers; d’où la nécessité pour les entreprises de les connaître et, si possible, d’influencer leur développement pour accroître leur compétitivité sur le marché mondial.

Autrefois limitée au continent européen et autour de la Méditerranée, la zone d’influence de l’Union européenne s’est progressivement élargie à l’échelle du monde. Elle s’est également élargie à des domaines de plus en plus nombreux tels que la protection du consommateur, le gouvernement d’entreprise, l’environnement, le transport et la concurrence. Les normes européennes ont en effet vocation à se mondialiser.

Stratégie traditionnelle du Japon depuis l’ère Meiji, l’intégration des normes étrangères influentes lui a permis d’attirer les investisseurs étrangers qui s’aventuraient alors en terrain connu. Cette stratégie est désormais celle de nombreux pays et la norme copiée, celle de l’Union. Norme la plus influente mais également la plus stricte, elle constitue un gage de qualité. En témoigne l’intégration dans les législations nationales du Bahreïn, de l’Arabie Saoudite et la Corée du Sud de la liste noire des compagnies aériennes établie par l’Union. Cette liste des compagnies qui ne satisfont pas, selon l’Union, aux critères de sécurité internationales applicables, et sont interdites d’exploitation dans l’espace aérien européen, est d’ailleurs utilisée comme telle et non transposée, par l’Afrique du Sud et le Koweït. La norme européenne est devenue la norme de référence mondiale. S’y conformer est pour les entreprises, l’assurance d’accéder au marché européen et à de nombreux autres marchés.

L’influence des normes européennes

Ce constat de l’influence européenne sur les normes internationales dans un vaste nombre de secteurs d’activité est le résultat d’une stratégie de l’Union de renforcer son poids politique et surtout économique mondial. L’objectif principal est donc de permettre aux entreprises européennes d’être plus compétitives par rapport à leurs concurrentes non européennes. A travers l’imposition de ses normes, l’Union soutient la compétitivité de ses entreprises sur son territoire et à travers le monde.

L’influence de l’Union sur les normes mondiales résulte de l’action des États, d’une part, de celle des entreprises d’autre part. Par l’intégration des normes européennes dans leur législation, les États à travers le monde assurent à leurs acteurs économiques de s’aligner sur les critères européens et de pouvoir concurrencer leurs homologues européens. Lorsque l’impulsion n’est pas celle des États, elle résulte des entreprises elles-mêmes pour s’assurer un accès aux 500 millions de consommateurs. Satisfaire aux strictes règles de Bruxelles ouvre à ce marché lucratif européen, mais aussi à n’importe quel marché moins règlementé à travers le monde. En découle un alignement sur les normes européennes au profit des entreprises européennes. Ainsi, même en dehors de leur territoire, les entreprises européennes ayant déjà intégré ces normes strictes, bénéficient d’emblée d’un avantage concurrentiel.

Illustration de l’écho planétaire des normes européennes

Dans la poursuite de cette stratégie, l’Union européenne fait preuve d’une certaine avance dans de nombreuses matières, précédant même les changements normatifs en Amérique au vu des illustrations suivantes.

En matière de téléphonie mobile, la Communauté impose dès 1987 le standard GSM (Global System for Mobile Communication) pour le développement d’un système mondial de téléphonie mobile rapidement adopté en Europe et à travers le monde. L’avantage concurrentiel des entreprises européennes a notamment largement contribué au succès de Nokia, Ericsson et Vodafone.

Remarquons en outre l’influence européenne dans le domaine du gouvernement d’entreprise. Alors que le scandale d’Enron est apparu comme le facteur déclencheur de l’élaboration de textes législatifs aux États-Unis et en Europe relatifs au contrôle des comptes sociaux, l’Europe s’était déjà penchée sur la question et avait produit un socle antérieur à la fameuse loi Sarbanes-Oxley de 2002.  Par cette dernière, le modèle traditionnel anglo-saxon fondé sur l’autorégulation se voyait détrôné au profit d’une intervention du législateur. Une réglementation était alors imposée cherchant à renforcer la transparence afin de rassurer les investisseurs par la mise en place d’un contrôle externe fondé sur la compétence, l’affirmation de la responsabilité des auditeurs mais surtout leur indépendance. Ainsi les États-Unis ont-ils suivi une voie déjà établie depuis longtemps en France et en Europe quant à la réglementation du contrôle légal des comptes sociaux.

En matière de sécurité alimentaire et d’environnement, l’Union s’est attirée les foudres des géants de l’agriculture tels que les États-Unis et le Brésil en imposant en 2003 l’étiquetage obligatoire des ingrédients contenant plus de 0,9% d’organismes génétiquement modifiés (OGM) pour assurer la traçabilité des produits. Pour conserver leurs parts de marché dans l’Union, les industriels de ces pays n’ont pourtant eu d’autre choix que celui de respecter ce standard.

Sur le terrain de la traçabilité des produits, l’alignement des normes américaines sur le code barre européen à 13 chiffres est un autre signe significatif de l’influence de l’Union. Développé en 1977 à partir du code barres américain UPC (Universal Product Code) à 12 chiffres pour les besoins spécifiques du commerce européen, le code EAN (European Article Numbering) prend officiellement le pas en 2005 lorsque l’organisme responsable américain annonce qu’au 1er janvier 2005 tous les codes barre aux États-Unis et au Canada devraient être sur le modèle du code EAN en 13 chiffres. S’ajoute en 2005 la fusion des organismes européen et américain en une seule organisation, appelée GS1, dont le siège est à Bruxelles.

Plus récemment encore, l’Union s’illustre par l’adoption en décembre 2006 de la contraignante directive REACH sur la fabrication, la commercialisation, l’importation et l’utilisation des substances chimiques. Fruit d’un laborieux processus de rédaction et de négociation, la directive exige l’enregistrement de 30 000 substances chimiques utilisées par les industriels afin d’identifier le danger que celles-ci représentent et, ultimement, inciter les entreprises à adopter des solutions de remplacement. La directive prévoit en outre un système d’autorisation pour l’utilisation des substances préoccupantes, notamment de celles responsables des cancers et de la stérilité, toute demande d’autorisation devant comporter une analyse des solutions de remplacement et un plan de substitution si une solution de remplacement existe. L’impact de cette stricte réglementation va par-delà des 27 États membres puisque les industriels de la chimie, mais également de la pharmaceutique, de l’automobile, et de l’électronique devront s’y conformer pour pérenniser leurs exportations en Europe.

Levier externe pour exporter les normes de l’Union

Forte de ses 27 voix au sein des différentes agences des Nations Unies, l’Union réussit à transposer sa propre réglementation au-delà de ses frontières. Elle est par exemple parvenue à imposer ses normes techniques de sécurité dans la construction automobile au sein de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe, dont le Canada est membre. Suivie par les fabricants automobiles à travers le monde, cette règlementation leur permet dans leurs exportations au Japon, en Inde ou en Chine, d’être exemptés de l’approbation requise par les autorités nationales de sécurité de ces États. Les industriels américains n’appliquant pas ces normes d’inspiration européenne, ils sont contraints de tester leurs modèles avant d’envisager leur exportation. Il apparaît donc ici toute l’opportunité pour les entreprises d’appliquer les normes de l’Union.

Dans sa stratégie d’exportation des normes, l’Union n’a pas délaissé les ententes bilatérales notamment avec les Etats-Unis et le Canada. En témoigne l’accord de 1998 entre le Canada et l’UE sur la reconnaissance mutuelle en matière de certification pour les secteurs de l’équipement médical, les produits pharmaceutiques, la sécurité électrique, et les équipements lié aux technologies de l’information. Depuis cette coopération réglementaire s’est intensifiée au fil des ans et étendue à d’autres sujets.

Appliquer et influencer les normes européennes

Dans ce contexte, il est utile de connaître les normes européennes et d’en suivre l’évolution selon le secteur d’activité. Il est même de l’intérêt des entreprises canadiennes de les appliquer. Ces normes exigeantes ayant vocation à se mondialiser, la connaissance de ces normes et la capacité des entreprises à s’y conformer est un gage d’accès à tous les marchés visés. Qu’elles aient ou non un pied dans le marché européen, la connaissance et l’application des normes européennes par les entreprises canadiennes leur assureront une commercialisation sur n’importe quel marché dans le monde.

Si elles le souhaitent, les entreprises canadiennes peuvent même prendre part à leur élaboration. L’activité de lobbying à Bruxelles est un levier largement utilisé par les industriels soucieux des développements normatifs européens et mondiaux. Selon le secteur d’activité, les entreprises ont alors la possibilité d’intervenir directement ou indirectement, par le biais de leur gouvernement ou d’une association professionnelle, auprès de la Commission européenne.

La vocation mondiale des normes européennes pousse à saisir toute l’opportunité de s’y conformer et de participer à leur élaboration afin de conserver une longueur d’avance.

Cet article a été publié dans le Carefour des opinions [http://www.lecarrefourdesopinions.ca/wp-content/uploads/2010/03/CARREFOUR-21.pdf]

[1] L’auteur remercie Nadège Brazzolotto, LL.M.

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