Changements climatiques: Un cadre réglementaire international en évolution

On 5 août 2010, Posted by , In Analyse internationale,

La conclusion de la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC)[1], en 1992, marquait l’engagement de la communauté internationale dans la lutte contre les changements climatiques. Comme son nom l’indique, cette convention prévoit un cadre général, à savoir les principes, les institutions, les engagements des Parties[2] dans la lutte contre les changements climatiques. Dans ce sens, les pays développés Parties et les autres Parties figurant à l’annexe I ont pris l’engagement[3] d’adopter des politiques nationales et de prendre des mesures en vue de l’atténuation des changements climatiques en limitant les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES)[4] et en protégeant et renforçant leurs puits et réservoirs de gaz à effet de serre. Au nombre de ces mesures, il est aisé de retrouver des mesures d’ordre commercial.

Si à priori, les règles du commerce international et celles du cadre international de lutte contre les changements climatiques ne présentent aucun risque de conflit, de sérieuses questions sur de potentiels conflits se posent dans la mise en œuvre, en droit interne, de mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. En effet, la lutte contre les changements climatiques a des enjeux commerciaux. Les principaux émetteurs de gaz à effet de serre étant des producteurs de biens, l’internalisation du cout social des émissions est supposée de nature à réduire leur compétitivité vis-à-vis de produits concurrents non contraints à cette exigence[5]. A cet égard, au titre de l’atténuation des changements climatiques, les règles relatives au commerce international présentent des avantages tant commerciaux qu’environnementaux. Au niveau commercial, elles ont la capacité de freiner la concurrence de producteurs étrangers non contraints à des obligations de réduction. Au niveau environnemental, elles peuvent contraindre des pays récalcitrants soit à prendre des engagements de réduction soit à respecter ceux qu’ils ont déjà pris.

Conscients de ce potentiel, les rédacteurs de la CCNUCC ont tenu à poser les bases d’une cohérence entre les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et celles de la convention. Ils ont convenu d’éviter que les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques, y compris les mesures unilatérales, constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce[6]. Dans ce contexte, il est intéressant d’analyser trois mesures commerciales qui font l’objet d’utilisations possibles : la taxe d’ajustement (I), les subventions (II) et les règlements techniques, normes et procédures de conformité (III).

I.              Taxe d’ajustement

La taxe d’ajustement est une mesure commerciale qui permet d’imposer, à des produits importés, le même fardeau fiscal que celui supporté par des produits locaux identiques. Elle peut également s’appliquer à des produits exportés par un dégrèvement de taxe[7]. Il importe d’examiner le potentiel que représente l’utilisation d’une telle taxe dans la lutte contre les changements climatiques ainsi que les exceptions prévues en cas de contestation de la validité d’une telle mesure.

A.               Mise en œuvre d’une taxe carbone d’ajustement

En matière de lutte contre les changements climatiques, l’utilisation d’une taxe d’ajustement présente certains avantages[8]. Elle permettrait de réduire le désavantage  concurrentiel entre les produits importés non soumis aux exigences liées à la réduction des émissions et les produits locaux soumis à de telles exigences. En imposant les mêmes contraintes tant aux produits importés qu’aux produits locaux, la taxe d’ajustement permet de rétablir l’équilibre[9]. Ce faisant, la taxe offre également un moyen d’éviter les fuites d’émission qui résulteraient de la délocalisation d’entreprises en vue d’échapper  aux contraintes liées aux réductions des émissions de GES[10]. Enfin elle permet de susciter un effort global de réduction des émissions en contraignant ou en incitant les pays qui ne participent pas à l’effort de réduction de GES à prendre des mesures de réduction. Il s’agirait de sanction ou d’incitatif selon les efforts de réduction d’émissions de GES fournis par le pays exportateur.

L’article II:2 (a) de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT)[11] reconnait la validité de la taxe d’ajustement. Toutefois cette validité est soumise à certaines conditions.

La première consiste en l’équivalence entre la taxe d’ajustement et l’imposition intérieure. La taxe d’ajustement doit imposer aux produits importés un fardeau équivalent à celui supporté par les produits locaux. En effet, la taxe ayant pour objectif de rétablir l’équilibre de la concurrence entre les produits importés et les produits locaux, il est logique que les premiers ne soient plus lourdement imposés que les derniers de sorte à créer une barrière tarifaire au commerce.

La seconde condition est le caractère indirect de la taxe d’ajustement. Selon l’économiste John Stuart Mill, Indirect taxes are those which are demanded from one person in the expectation and intention that he shall indemnify himself at the expense of another, such are the excise or customs[12]. Elle doit frapper des produits et non des producteurs.

Enfin il doit s’agir d’une imposition non discriminatoire. Le caractère non discriminatoire s’apprécie en comparaison des produits locaux, selon le critère du traitement national de même qu’en comparaison de produits importés d’origine différente selon le critère de la nation la plus favorisée.

Au regard de ces conditions de validité, en dépit des avantages que présente l’utilisation d’une telle mesure, certaines questions doivent être élucidées lors de la conception d’une taxe carbone d’ajustement. Nous aborderons deux de ces questions.

1.                 Réglementation interne limitant les émissions de GES

Le type de réglementation interne de limitation des émissions qui crée l’imposition est d’une importance, selon qu’il s’agisse d’un système de taxe carbone ou d’un système de type cap-and-trade, les implications sont différentes.

Dans un système de taxe carbone, un prix est déterminé par tonne de CO2 ou équivalent émis. Le producteur qui y est soumis paye la taxe proportionnellement à la quantité de polluant émis[13]. Dans ce cas, la question est de savoir si cette imposition peut être qualifiée de taxe indirecte ou de taxe occulte s’appliquant au processus de fabrication plutôt qu’au produit. En effet, la taxe carbone affecte un élément n’entrant pas physiquement dans la production.

Dans un système cap-and-trade, une autorité fixe le plafond des émissions que des installations sélectionnées sont autorisées en tenant compte des objectifs quantitatifs de réduction des émissions. Afin de réduire le cout des réductions des installations, il est possible d’allouer des quotas négociables aux installations concernées[14]. L’allocation initiale de ces quotas peut s’opérer gratuitement, par vente aux enchères ou par une combinaison de quotas gratuits et payants.

2.                Caractère non discriminatoire de la taxe

L’appréciation du caractère discriminatoire de la taxe exige une comparaison entre des produits similaires d’origines différentes. Cette condition impose de déterminer  un critère d’identité ou de discrimination pertinent entre les produits. Est-il possible de considérer comme discriminatoire un critère basé sur l’utilisation d’énergie fossile par exemple. C’est dire qu’un acier fabriqué avec de l’énergie fossile est il identique à de l’acier fabriqué avec de l’énergie non fossile et a-t-il droit à un  traitement semblable ?[15] En outre le caractère non discriminatoire de la taxe exclut, à priori, la possibilité d’une utilisation en vue de sanctionner ou d’encourager certains pays exportateurs à poser des actes en faveur de la réduction des émissions de GES. En effet une telle utilisation crée une discrimination, entre les produits locaux et produits importés d’une part et entre produits importés d’autre part. Laquelle est fondée exclusivement sur le pays d’origine du produit. Toutefois, il demeure toujours possible de s’assurer que la mesure puisse être couverte par les dérogations prévues à l’article 20 du GATT, dont analyse suit.

B.               Dérogations aux conditions de validité de la taxe d’ajustement

L’article 20 du GATT permet aux Membres de déroger à ses dispositions à certaines conditions. L’analyse d’une dérogation en vertu de l’article 20 comporte deux étapes.

La première étape de l’analyse vise à s’assurer que la disposition entre dans l’une des exceptions énumérées par cet article. Relativement aux dispositions internes visant à lutter contre les changements climatiques, les exceptions b) et g) pourraient fonder des dérogations.

L’article 20.b), impose un test de nécessité. Selon l’auteur Andrew Green[16], l’organe d’appel a considéré que le test de nécessité exigeait la mise en équilibre d’un ensemble de facteurs. Toutefois, trois principaux facteurs sont à prendre en compte. Il s’agit de l’importance de l’objectif ou de l’intérêt commun objet de la mesure, de l’effectivité de la mesure à rencontrer l’objectif et de l’impact de la mesure sur le commerce international.

L’article 20.g) impose un test composé des questions suivantes : la mesure concerne-t-elle la conservation d’une ressource naturelle exhaustive? Le pays Membre rend t-il la mesure effective par une application conjointe d’autres mesures de limitation de la production ou de la consommation interne?

Dans l’application de la taxe carbone d’ajustement, le consensus international relatif aux changements climatiques permet de remplir certains critères tels que l’importance de l’objectif, la conservation d’une ressource naturelle exhaustive. Cependant, dépendamment de l’exception invoquée, il pourrait être difficile de respecter les critères énumérés. Dans le cas de l’article 20.b), le défi consistera à démontrer l’effectivité de la mesure de discrimination entre les produits locaux et les produits importés sur les changements climatiques.

La seconde étape de l’analyse consiste à s’assurer que les conditions énoncées dans le chapeau de l’article 20 sont remplies. Selon l’auteur précité, dans l’analyse du chapeau, l’organe d’appel applique également un test de nécessité.

Ce test comporte des critères tenant compte de la flexibilité de la mesure, c’est-à-dire ses aptitudes à prendre en compte une régulation du pays exportateur qui offrirait un niveau comparable de protection ou d’efficacité, les actes posés par le pays importateur en vue de parvenir à une entente avec le pays exportateur ainsi que la bonne foi du Membre dans la mise en œuvre de la mesure[17].

Ces critères ont quelque peu évolués dans l’affaire Brésil – Mesures visant l’importation de pneumatiques rechapé pour signifier que les mesures sont considérées nécessaires si elles contribuent matériellement à la réalisation de la politique visée.

Dans le contexte des changements climatiques, les incertitudes entourant le phénomène et sa résolution pourrait avoir droit de cité auprès de l’organe d’appel. En effet, ces incertitudes portent sur la nature de l’objectif de lutte contre les changements climatiques, le calendrier nécessaire de même que sur l’efficacité des différents moyens utilisés.

C.               Illustration de la mise en œuvre de la taxe carbone d’ajustement

La Partie F de l’un des projets de loi américain relatif aux mesures internes de lutte contre les changements climatiques intitulé American Power Act[18] se donne, entre autres objectifs, de promouvoir un véritable effort global de réduction des émissions GES et d’éviter des fuites de carbone par l’augmentation des émissions de GES dans des pays étrangers comme conséquence de l’application des dispositions américaines. Composée des sections 771 et suivantes, cette partie met en place deux programmes appliquant la taxe carbone d’ajustement. Aux sections 773 et 774 l’Emission Allowance Rebate Program prévoit la distribution de remise de quota d’émission. L’Agence de protection de l’environnement (EPA) est autorisée à définir les conditions d’éligibilité au bénéfice des remises et à procéder annuellement à ces distributions. Aux sections 775 et suivantes l’International Reserve Allowance Program exige des importateurs de produits visés le paiement d’allocations de réserve internationale. Le montant à payer correspondra aux émissions de GES associées à la fabrication de ces produits importés[19].

II.           Subventions et mesures compensatoires

Il y a subvention lorsqu’une contribution financière ou un soutien des revenus ou des prix est accordé et qu’il en résulte un avantage consécutif[20].

La contribution financière provient des pouvoirs publics ou de tout organisme public du ressort territorial d’un Membre et prend notamment la forme de transfert direct de fonds, de non perception de sommes normalement exigibles, de fourniture de biens et de services autres que des infrastructures générales[21].

L’avantage consécutif consiste notamment en l’accroissement des exportations d’un produit du territoire de la partie contractante ou en la réduction des importations de ce produit sur son territoire[22].

En matière de mesures internes de lutte contre les changements climatiques, la question de l’octroie de subventions indues s’est déjà posée sous deux principales formes. D’une part en l’absence de dispositions internes imposant des obligations de réduction d’émissions aux fabricants de produits importés et d’autre part en présence d’un système de réduction des émissions accordant gratuitement des quotas d’émission aux fabricants de produits importés.

A.               Absence de dispositions internes de réduction ou de limitation des émissions

La question de l’octroie de subventions indues s’est posée dans le contexte des importations de produits américains dans l’Union Européenne et a été transposée au contexte des importations de produits chinois aux États-Unis, dans l’hypothèse où ces derniers se doteraient de mesures internes de réduction.

L’idée que l’absence de dispositions internes imposant des obligations de réduction d’émissions aux fabricants de produits importés puisse être considérée comme une subvention a été émise par l’économiste Joseph Stiglitz.  Selon ce dernier, “subsidy means that a firm does not pay the full costs of production. Not paying the cost of damage to the environment is a subsidy, just as not paying the full costs of workers would be … other countries should prohibit the importation of American goods produced using energy intensive technologies, or, at the very least, impose a high tax on them, to offset the subsidy that those goods currently are receiving[23]. Ainsi, en ne contraignant pas les producteurs américains à internaliser les couts sociaux de leurs émissions, le gouvernement américain offrirait des subventions indues à l’exportation, qui justifieraient des mesures compensatoires.

Toutefois cette proposition n’est pas supportée par le droit du commerce international. Pour qu’une subvention donne un droit d’action à un État Membre, il faudrait qu’elle soit prohibée[24], ou qu’elle soit spécifique[25] et qu’elle crée des effets défavorables aux intérêts d’autres membres[26]. En ce sens, il importe que la mesure puisse être qualifiée de subvention au sens de l’article 1 de l’Accord sur les subventions et mesures compensatoires (ASMC).

Dans le cas de l’absence de dispositions de limitation des émissions, il serait difficile d’invoquer l’existence d’une subvention, c’est-à-dire l’existence d’une contribution financière ou un soutien des revenus ou des prix qui confèrent un avantage. En effet, il s’agit essentiellement d’une inaction. L’hypothèse d’une inaction constitutive d’une subvention est prévue par l’article 1.1a)1)ii) de l’ASMC, il s’agit du cas où des recettes publiques normalement exigibles sont abandonnées ou ne sont pas perçues. Dans l’application de cette disposition, le professeur Joost Pauwelyn[27] précise que l’organe d’appel de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a fait une interprétation tenant compte de la politique normalement applicable dans le pays soupçonné de faire des subventions indues. Ainsi, si la politique générale dans ce pays n’impose pas de sommes à percevoir par le pays, aucune somme ne lui est du. Et par conséquent, il ne saurait avoir de subvention.

Par ailleurs, en considérant que le défaut d’imposer des taxes carbone ou d’exiger des sommes liées aux émissions constitue une subvention, il reste à remplir les autres conditions dont la spécificité de cette subvention[28]. Une subvention indue ne peut donner lieu à des mesures compensatoires ou autres mesures que si elle est spécifique[29], c’est-à-dire appliquée à une entreprise ou à une branche de production ou à un groupe d’entreprises ou de branches de production[30]. En cas d’inaction d’un pays, il est difficile voire impossible de démontrer que la subvention accorde des avantages à une entreprise ou à une branche de production ou à un groupe d’entreprises ou de branches de production en particulier.

B.               Allocation gratuite de quotas d’émission

Lorsqu’un État fait le choix d’un système de type cap-and-trade, il sélectionne des installations qui seront soumises aux obligations de réduction ou de limitation de leurs émissions et procède à une allocation de quotas d’émission. L’allocation initiale de quotas aux installations sélectionnées peut s’opérer gratuitement, par vente aux enchères ou par une combinaison de quotas gratuits et payants. La question des subventions indues se pose lorsque les émetteurs reçoivent des quotas partiellement ou totalement gratuits. Par ce mode d’allocation sans contrepartie ou avec une contrepartie non équivalente, non seulement les émetteurs concernés n’internalisent pas les couts sociaux de leurs émissions mais ils ont la possibilité de faire des profits par la vente des quotas.

L’analyse des conditions auxquelles les États peuvent prendre des mesures compensatoires obéit aux trois critères précédemment cités aussi nous nous intéresserons uniquement à la qualification qui présente des particularités quant à la nature de la subvention. Dans le cas de ces allocations gratuites de quotas, les réflexions pourraient être menées autour de l’article 1.1a)1)iii) de l’ASMC[31]. Cet article prévoit qu’il y a contribution financière dans le cas où les pouvoirs publics fournissent des biens ou des services autres qu’une infrastructure générale, ou achètent des biens.

Les États ont compétence normative sur le bien commun que représente l’atmosphère. En  considérant les quotas comme des biens autres que des infrastructures générales qui peuvent être achetés et vendus sur le marché et qui sont fournis par les autorités étatiques, leur qualification de contribution financière ne fait pas de doute[32]. Toutefois, dans ce cas, le problème consistera à déterminer l’avantage conféré par les autorités publiques et à l’évaluer. L’article 14d) de l’ASMC, dispose que la fourniture de biens ou de services ou l’achat de biens par les pouvoirs publics ne sera pas considéré comme conférant un avantage, à moins que la fourniture ne s’effectue moyennant une rémunération moins qu’adéquate ou que l’achat ne s’effectue moyennant une rémunération plus qu’adéquate. L’adéquation de la rémunération sera déterminée par rapport aux conditions du marché existantes pour le bien ou service en question dans le pays de fourniture ou d’achat.

Sur le fondement de ce texte et de la décision rendue dans l’affaire des bois d’œuvre ayant opposée les États Unis au Canada, Robert Howse et Antonia Eliason concluent que la rémunération adéquate sera appréciée en fonction du prix du bien ou du service sur le marché dans le pays exportateur et non celui du pays importateur[33]. Ainsi, dans le cas des quotas d’émission, le prix serait celui applicable sur le marché secondaire d’échange de quotas dans le pays importateur.

A titre d’illustration, il importe de souligner le changement de mode d’allocation des quotas dans le système d’échanges d’émissions de l’Union Européenne[34].

À la différence des phases précédentes, la répartition initiale des quotas lors de la phase III s’effectuera par mise aux enchères plutôt que gratuitement. Par la Directive 2009/29/CE entrée en vigueur le 25 Juin 2009 le contenu de l’article 10 de la Directive 2003/87/CE a été remplacé. Les nouvelles dispositions instituent la mise aux enchères comme principal mode d’allocation des quotas d’émission à compter de 2013.

III.            Obstacles techniques au commerce

La réglementation des obstacles techniques au commerce s’applique à trois concepts ; les règlements techniques, les normes et les procédures d’évaluation de conformité.

Le règlement technique est un document qui énonce les caractéristiques d’un produit ou les procédés et méthodes de production s’y rapportant, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont le respect est obligatoire. Il peut aussi traiter en partie ou en totalité de terminologie, de symboles, de prescriptions en matière d’emballage, de marquage ou d’étiquetage, pour un produit, un procédé ou une méthode de production donnés[35].

La norme est un document approuvé par un organisme reconnu, qui fournit, pour des usages communs et répétés, des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques pour des produits ou des procédés et des méthodes de production connexes, dont le respect n’est pas obligatoire. Il peut aussi traiter en partie ou en totalité de terminologie, de symboles, de prescriptions en matière d’emballage, de marquage ou d’étiquetage, pour un produit, un procédé ou une méthode de production donnés[36].

La procédure d’évaluation de conformité est toute procédure utilisée, directement ou indirectement, pour déterminer que les prescriptions pertinentes des règlements techniques ou des normes sont respectées[37].

A l’instar de la taxe carbone d’ajustement, les règlements techniques et les normes  sont des outils qui s’offrent aux États dans leurs efforts de réduction de leur émission de GES dont la validité est soumise à certaines conditions.

A.               Emploi de règlements techniques et normes dans la lutte contre les changements climatiques

Pour l’auteur Andrew Green[38], la plupart des mesures relatives aux caractéristiques des produits tomberaient sous le domaine d’application de l’Accord sur les obstacles techniques au commerce (AOTC). Nous aborderons quelques unes de ces mesures.

1.                 Exigences d’efficacité énergétique ou de contrôle d’émission

Par des lois ou des règlements un État peut imposer un niveau d’émission ou des caractéristiques d’efficacité énergétique à des produits ainsi qu’à des modes de production. Ces exigences portant sur les caractéristiques des produits et étant  obligatoires, elles sont qualifiées de règlements techniques[39].

2.                Actions volontaires des émetteurs

Des émetteurs peuvent prendre des actions volontaires à travers des ententes avec le gouvernement. Ces ententes sont conclues entre le gouvernement et un ou plusieurs émetteurs qui s’engagent à réduire le niveau de leurs émissions. En échange de ses efforts de réduction la personne privée reçoit des contreparties dont la reconnaissance des efforts, du financement, des réductions d’autres exigences environnementales[40]. De même en échange de contreparties, le gouvernement peut lancer des défis qui sont  volontairement relevés par un ou plusieurs émetteurs. La qualification des mesures issues de ces actions dépend de leur caractère contraignant ou non. Si le respect de ces mesures est obligatoire, elles sont qualifiées de règlement technique. En revanche, si le respect n’est pas obligatoire, elles sont qualifiées de normes[41].

3.                Éco-étiquetages

Les éco-étiquetages donnent au consommateur des informations sur les caractéristiques, notamment environnementales des produits. Ils incluent l’étiquetage sur les exigences énergétiques et les émissions lors du processus et des méthodes de production du produit, de même que l’étiquetage sur les exigences énergétiques et les émissions à l’utilisation du produit. L’emploi d’éco-étiquetage peut être volontaire ou obligatoire. Dans ce cas également, la qualification de ces actions est fonction de leur caractère obligatoire ou non. Lorsqu’elles sont obligatoires, elles sont qualifiées de règlements techniques et de normes établies par un organe reconnu tel qu’un organisme gouvernemental lorsqu’elles sont volontaires[42].

B.               Validité des règlements techniques, normes et procédures de conformité utilisés dans la lutte contre les changements climatiques

L’élaboration, l’adoption et l’application des règlements techniques et normes ainsi que des procédures d’évaluation de conformité sont soumises à des conditions[43]. D’une part, il s’agit de ne pas accorder un traitement moins favorable que celui qui est accordé aux produits similaires d’origine nationale et aux produits similaires originaires de tout autre pays. L’analyse du caractère non discriminatoire se fait selon une approche identique à celle précédemment menée en matière de taxe carbone d’ajustement. D’autre part, ces règlements, normes et procédure ne doivent pas créer des obstacles non nécessaires au commerce international sauf si justifié par un objectif légitime[44]. L’objectif légitime s’entend notamment de  la sécurité nationale, la prévention de pratiques de nature à induire en erreur, la protection de la santé ou de la sécurité des personnes, de la vie ou de la santé des animaux, la préservation des végétaux ou la protection de l’environnement[45].

Relativement aux changements climatiques, l’objectif légitime consisterait en l’atténuation des effets des changements climatiques qui sont de nature à affecter la vie, la santé et la sécurité tant des personnes que des animaux de même que la préservation des végétaux. La démonstration de cet objectif sera d’autant plus aisée qu’il existe un consensus international sur l’urgence de réduire ou de limiter les émissions de GES, lequel est fondé sur les données scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)[46].

Par ailleurs, l’article 2.5 de l’AOTC pose une présomption en vertu de laquelle un règlement technique élaboré, adopté ou appliqué conformément aux normes internationales pertinentes, en vue d’atteindre un objectif légitime, ne créer pas un obstacle non nécessaire au commerce international. A ce titre, les trois principales organisations de normalisation, la Commission électrotechnique internationale (CEI), l’Organisation internationale de normalisation (ISO) et l’Union internationale des télécommunications (UIT) affirment offrir un système de normalisation comprenant des normes abordant divers aspects de la lutte contre les changements climatiques[47]. Il s’agit,  entre autres, de normes relatives à la surveillance et la mesure des émissions de gaz à effet de serre, à la conception et la construction d’habitations et de lieux de travail à bon rendement énergétique, à la diffusion de technologies novatrices promettant d’aider à réduire les effets des changements climatiques, à la promotion de l’introduction de technologies et de services novateurs à bon rendement énergétique[48].

IV.                Conclusions

La communauté internationale est aujourd’hui unanime quant à l’urgence d’agir contre les effets des changements climatiques d’origine anthropiques. Les mesures commerciales ont le potentiel pour être des outils efficaces dans cette lutte contre les changements climatiques. Toutefois leur utilisation peut entrer en conflit avec des règles du droit commerce international de même qu’être contraire à l’article 3.5 de la CCNUCC visant à éviter que les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques, y compris les mesures unilatérales, constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce.

L’analyse qui précède a été l’occasion de constater le bienfondé de l’utilisation de mesures commerciales mais également les défis à surmonter afin de s’assurer du respect de l’exigence formulée par l’article précité et surtout les dispositions pertinentes des accords de l’OMC. Ainsi, la cohérence entre mesures internes de lutte contre les changements climatiques et règles du commerce international, à travers l’une ou l’autre des mesures envisagées ci-dessus, dépend de la conception et l’élaboration de ces mesures par la prise en compte des questions pertinentes susmentionnées.

Notes pour une intervention donnée dans le cadre de la Conférence de l’Association du barreau canadien à Niagara Falls le 16 août 2010 intitulée « Un climat réglementaire en évolution: en Amérique du Nord, le cadre réglementaire sur le changement climatique commence à se cristalliser. »

[1] La Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, New York, 9 mai 1992, 1771 R.T.N.U. 107, entrée en vigueur : 21 mars 1994 (ci-après CCNUCC ou la Convention).

[2] David Freestone, «The UN Framework Convention on Climate Change, The Kyoto Protocol, and the Kyoto Mechanisms», dans Legal Aspects of Implementing the Kyoto Protocol Mechanisms: Making Kyoto Work edited by David Freestone and Charlotte Streck, Great Britain, Oxford University Press, 2005, 3. Laurence Boisson de Chazournes « La gestion de l’intérêt commun à l’épreuve des enjeux économiques – Le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques », Annuaire français de droit international, XLIII, 1997,700.

[3] Article 4.2a) de la CCNUCC.

[4] Les gaz à effet de serre pris en compte par le régime international sur les changements climatiques sont cités à l’Annexe A du Protocole de Kyoto à la CCNUCC. Ce sont: le Dioxyde de carbone (CO2), le Méthane (CH4), l’Oxyde nitreux (N2O), Hydrofluorocarbones (HFC), les Hydrocarbures perfluorés (PFC), l’Hexafluorure de soufre (SF6).

[5] Christopher L. Weber & Glen P. Peters “Climate change policy and international trade : Policy considerations in the US”, Energy Policy 37 (2009) 432–440.  Posner, Eric A. and Sunstein, Cass R., « Climate Change Justice », University of Chicago Law & Economics, Olin Working Paper No. 354; U of Chicago, Public Law Working Paper No. 177 August 2007.

[6] Article 3.5 de la CCNUCC.

[7] Joost Pauwelyn “U.S. federal climate policy and competitiveness concerns: the limits and options of international trade law”, working paper, avril 2007, page 17.

[8] Christopher L. Weber & Glen P. Peters, article précité note 5; Harro Van Asselt, Thomas Brewer, Michel Mehling “Addressing leakage and competiveness in US climate policy, Issues concerning border adjustment measures”, working paper, march 2009.

[9] Idem.

[10] Idem et Aaron Cosbey, “Border Carbon Adjustment”, International Institute for Sustainable Development, background paper, Trade and Climate Change Seminar, Copenhagen, 2008.

[11] Accord general sur les tarifs douaniers et le commerce, 30 octobre 1947, 58 R.T.N.U. 187, entrée en vigueur le 1er janvier 1948, ci après GATT.

[12] Mill, John Stuart, Principles of Political Economy with some of their Applications to Social Philosophy, Livre V, Chapitre 3.

[13] Dennis Tirpak, Sujata Gupta, Daniel Perczyk, Massamba Thioye « Les politiques nationales et leurs relations avec la négociation d’un futur accord international sur les changements climatiques » dans La feuille de route de Bali: Les questions clés en cours de négociation, Publication du Groupe environnement et énergie du Programme de Nations Unies pour le développement, Octobre 2008, 79.

[14] Idem et Stavins, Robert N. 2007. “Addressing Climate Change with a Comprehensive U.S. Cap-and-Trade System,” Regulatory Policy Program Working Paper RPP-2007-07. Cambridge, MA: Mossavar-Rahmani Center for Business and Government, John F. Kennedy School of Government, Harvard University.

[15] Joost Pauwelyn, article précité note 7.

[16]Andrew Green, “Climate Change, Regulatory Policy and the WTO, how constraining are trade rules?”, Journal of International Economic Law Vol. 8 No. 1, Oxford University Press 2005, page 177.

[17] Joost Pauwelyn, article précité note 7.

[18] Le projet S.1733 – Clean Energy Jobs and American Power Act a été introduit par les Sénateurs John Kerry et Joe Lieberman. Il a pour objectif de réduire les émissions de GES 20% d’ici 2020 et 83% d’ici 2050 à travers un système national de type cap and trade, des investissements dans les technologiques environnementales et la promotion d’emplois «verts ».

[19] Pour une description générale des dispositions relatives à la concurrence internationale dans le projet de loi américain, Jessica Wentz, Competitiveness in International Trade: Comparing KL and WM (May 25, 2010), Center for climate change law (consulté le 02 aout 2010).

[20] Article 1 de l’Accord sur les subventions et mesures compensatoires (ASMC).

[21] Article 1.1a) de l’ASMC.

[22] Article XVI du GATT.

[23] Joseph Stiglitz, A New Agenda for Global Warming, Economists’voice, July 2006,  http://www.bepress.com/cgi/viewcontent.cgi?article=1210&context=ev. (Consulté le 1er aout 2010).

[24] Article 3 de l’ASMC.

[25] Article 2 de l’ASMC

[26] article 5 de l’ASMC.

[27] Joost Pauwelyn article précité note 7.

[28] Idem.

[29] Article 1.2 de l’ASMC.

[30] Article 2 de l’ASMC.

[31] Robert Howse et Antonia Eliason, “Domestic and International Strategies to Address Climate Change: An Overview of the WTO Legal Issues”, In International Trade Regulation and the Mitigation of Climate Change, Bigdeli, Cottier, Nartova (eds.), Cambridge University Press, 2008, p. 36.

[32] Idem.

[33] Idem, p. 37 et 38.

[34] Markus Pohlmann, “The European Union emissions trading scheme”, Legal aspects of carbon trading : Kyoto, Copenhagen, and beyond, David Freestone and Charlotte Streck, Oxford University Press, Oxford; New York, 2009, 337.

[35] Annexe 1 de l’Accord sur les obstacles techniques au commerce (AOTC).

[36] Idem.

[37] Idem.

[38] Andrew Green, article précité note 16.

[39] Idem.

[40] Dennis Tirpak, Sujata Gupta, Daniel Perczyk, Massamba Thioye, article précité note 13. Pour une critique des ententes entre l’administration et les entreprises polluantes, Paule Halley, « Les ententes administratives avec les pollueurs en droit de l’environnement canadien », », dans Le droit supranational et les techniques contractuelles, Jean-Philippe Colson et Denis Lemieux (dir), Québec, 1997.

[41] Andrew Green, article précité note 16.

[42] Idem.

[43] Articles 2, 5 et Annexe 3 de l’AOTC.

[44] Article 2.2 de l’AOTC.

[45] Idem.

[46] GIEC, 2007 : Bilan 2007 des changements climatiques. Contribution des Groupes de travail I, II et III au quatrième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, publié sous la direction de Pachauri, R.K. et Reisinger, A. GIEC, Genève, Suisse, http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar4/syr/ar4_syr_fr.pdf (consulté le 02 aout 2010).

[47] 40ème Journée mondiale de la normalisation avec pour thème « Agir sur les changements climatiques par les normes », 14 octobre 2009, http://www.iso.org/iso/fr/wsd2009/wsd2009_message.htm (consulté le 02 aout 2010).

[48] Idem.

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